Petit Pierre : presse

« Coup de coeur », www.theatre-enfants.com

Elle arrive sur la scène, avec son béret et noir et sa blouse. Elle découpe des formes dans des pla­ques de métal, elle trans­forme des mou­tons en nuages d’un geste subtil, bri­co­lant comme par magie un petit uni­vers par­fait : Maud Hufnagel ne raconte pas seu­le­ment avec des mots, elle parle aussi avec ses doigts, en fabri­cant devant nous les objets de son récit.

Et d’avion en cham­bre à air, dis­crè­te­ment, magni­fi­que­ment, la voilà deve­nue Petit Pierre. Petit Pierre, c’est d’abord une his­toire vraie : celle de Pierre Avezard, petit garçon dif­fé­rent des autres, né en 1909 et « pas fini » comme il le dit lui-même. Malgré les moque­ries des autres enfants, Pierre gran­dit dans une famille aimante. Il devient garçon de ferme, et il passe des heures à contem­pler les vaches pla­ci­des dans les champs. Il observe aussi les avions,les vélos, le temps qui passe, tandis que le grand manège du monde semble tour­ner sans lui. La crise de 1929, la seconde guerre mon­diale, mai 68 et le mou­ve­ment hippie : tout cela coule appa­rem­ment très loin de Petit Pierre et de ses vaches.

Mais durant toutes ces années, Petit Pierre cons­truit son manège à lui : un méca­nisme incroya­ble, fait de bric et de broc, de pneus de vélos et de fils de fer, de tôles décou­pées et de bouts de bois. Dans cette galaxie minia­ture, on voit voler des avions de for­tune et passer des vélos zig­za­gants. Des poules métal­li­ques pico­rent, tandis que des vaches un peu rouillées brou­tent éternellement des pâtu­ra­ges ima­gi­nai­res.

Cet uni­vers ines­péré s’appelle désor­mais la Fabuloserie, qu’on peut visi­ter à Dicy, dans l’Yonne. L’auteur Suzanne Lebeau l’a décou­vert un peu par hasard, par un de ces petits mira­cles de la créa­tion comme il arrive par­fois. Elle en a fait un texte, un texte remar­qua­ble et lim­pide, bou­le­ver­sant dans sa sim­pli­cité. Et Maud Hufnagel l’a adapté sur scène, mêlant avec déli­ca­tesse la grande Histoire du siècle et la petite his­toire de Pierre, les déchi­ru­res de l’une et les secrets de l’autre, que son génie obscur est par­venu à retrans­crire sur de la tôle et du caou­tchouc.

par Orianne Charpentier, www.thea­tre-enfants.com

« Critique / Petit Pierre », La Terrasse

Selon les canons de nos socié­tés clas­si­fi­ca­tri­ces, on ne pou­vait guère ima­gi­ner quelqu’un d’aussi étrangement dif­forme que Pierre Avezard, qui ait autant réussi en tant qu’inven­teur dans l’accom­plis­se­ment de son art « brut ». Il passe qua­rante ans de sa vie à conce­voir et à fabri­quer un manège d’une sin­gu­lière beauté à la méca­ni­que com­plexe, un mys­tère. Ce petit manège inso­lite est ins­tallé à La Fabuloserie, le musée d’art brut de Dicy. Durant sa tra­ver­sée rus­ti­que du siècle - crises économiques et guer­res -, Petit Pierre fait l’appren­tis­sage sans le savoir des tech­ni­ques nou­vel­les qui font leur chemin, obser­vant de près l’appa­ri­tion des avions, des auto­mo­bi­les, de l’électricité. Enfant, on l’appelle « Tête de vipère ». Jeune homme, on lui donne le métier des inno­cents : il aime garder les vaches, voilà l’uni­vers de Petit Pierre de Suzanne Lebeau. L’occa­sion pour la met­teuse en scène et comé­dienne Maud Hufnagel, de décou­per dans des pla­ques d’alu offset, des ombres colo­rées et des sil­houet­tes aiman­tées de vaches, de mou­tons, de gar­çons de ferme vive­ment ins­crits dans leur salle à manger ou leur dor­toir.

L’Histoire suit son cours avec ses années ter­ri­bles, et Petit Pierre apprend à semer, à sar­cler, à fau­cher, à récol­ter. Protégé par sa sur­dité, il n’entend pas les nou­vel­les, mais il ramasse, il récu­père ce qui traîne dans les champs. « Tout ce qui bouge sur pattes ou sur roues » le fas­cine, il passe son temps à en décor­ti­quer la méca­ni­que ou le mou­ve­ment pour les repro­duire. Il admire les belles voi­tu­res sans che­vaux, il colle l’oreille à la radio, il décou­vre une aile d’avion tombée par hasard sur son ter­ri­toire. Avec ses ciseaux et son cou­teau, il fait le mobile et l’immo­bile, il ins­talle un fil, il pédale et vole l’avion minia­ture, et les poules méca­ni­ques pico­rent. L’électricité rem­place bien­tôt le péda­lier. De Paris, il revient avec une Tour Eiffel dans la tête qu’il ins­talle au milieu de ses vaches comme un acacia. Le manège est prêt, avec une lune sur la Tour. Les visi­teurs du lieu reconnais­sent le siècle « en pièces déta­chées ». Le spec­ta­cle intense ima­giné par la conteuse et inter­prète Maud Hufnagel est infi­ni­ment tendre et ludi­que, ras­sem­blant au fur et à mesure de la nar­ra­tion, les objets sym­bo­les de la vie de ce pro­dige, s’amu­sant des ombres, des écrans, des cou­leurs et des témoi­gna­ges his­to­ri­ques. Et le manège oni­ri­que du scé­no­gra­phe Petit Pierre tourne radieu­se­ment à n’en plus finir. Un joyau sous des yeux émerveillés.

par Véronique Hotte, La Terrasse, n° 146, mars 2007

« De l’art brut à la scène : Petit Pierre fait son manège », E pur si muove ! - La marionnette aujourd’hui

C’est cette vie (non pas l’œuvre comme projet ou comme achè­ve­ment, mais ce dont elle naît petit à petit) que, sur le texte de Suzanne Lebeau, Maud Hufnagel, nar­ra­trice-mani­pu­la­trice, raconte sur scène, époque après époque, épisode après épisode, comme élément après élément : celle d’un enfant puis d’un homme « dif­fé­rent », dont le geste de cons­truc­tion relève à la fois, si ce n’est de la survie, tout du moins de l’inven­tion d’un refuge pro­tec­teur (l’un des pre­miers bri­co­la­ges de Petit Pierre n’est-il pas une échelle amo­vi­ble pour se pré­ser­ver, sous le toit de l’étable, un refuge à l’abri des vexa­tions des autres gar­çons de ferme ?), d’une géné­ro­sité mali­cieuse (le don d’un spec­ta­cle fas­ci­nant, d’abord pour ses vaches si aimées, puis pour les visi­teurs du manège) et d’un acte de réap­pro­pria­tion et de par­ti­ci­pa­tion au monde ; qui élabore, dans le silence de sa quasi-sur­dité et de son semi-mutisme, dans la semi-soli­tude entraî­née par sa dif­fé­rence phy­si­que, mais aussi et sur­tout dans le plai­sir ludi­que du bon vivant qu’il était, un uni­vers per­son­nel, enfan­tin et bri­colé, « en marge du siècle et du pro­grès », mais fait de bribes et d’échos de ceux-ci : échos dis­pa­ra­tes (issus des ani­maux autour de lui, d’un avion de guerre tombé dans un champ voisin, de monu­ments vus lors de voya­ges…) qu’unira sa fas­ci­na­tion pour la méca­ni­que et le mou­ve­ment.

(…) Sur la scène, dans une très grande proxi­mité avec le public, Maud Hufnagel raconte cette vie comme un conte naïf (et donc par moments cruel). Elle tient le fil de la nar­ra­tion, tout en emprun­tant par moments les voix et des bribes d’atti­tu­des de tel ou tel per­son­nage. Et au fur et à mesure de son récit, elle amé­nage et trans­forme un dis­po­si­tif scé­ni­que fait de pla­ques d’alu­mi­nium offset.

Comme Petit Pierre bri­co­lait ses bouts de métal, et à vue, elle les des­sine, les plie, les découpe pour en faire sortir des sil­houet­tes de per­son­na­ges. Certaines de ces pla­ques, en fond de scène, devien­nent sur­fa­ces de pro­jec­tion vidéo, sur les­quel­les vien­nent s’ins­crire les traces de la « grande » Histoire. D’autres, mani­pu­lées, peu­vent par­fois bruire, sono­res, du trem­ble­ment des tra­gé­dies du siècle lors­que des images de celles-ci (krach et crise, guerre, occu­pa­tion et crimes nazis) vien­nent un temps se fixer sur elles. D’autres encore offrent de petits tableaux décou­pés, ou devien­nent sup­ports pour qu’y soient posées ou aiman­tées d’autres peti­tes sil­houet­tes métal­li­ques. Entre elles la marion­net­tiste cir­cule, au fil de son récit qui leur donne vie ; (…)

Par la voix et les gestes de Maud Hufnagel, le récit du temps qui passe - indi­vi­duel et col­lec­tif - se conjoint ainsi, l’air de rien, au geste de la cons­truc­tion : non pas dans la réa­li­sa­tion d’un plan pré­dé­ter­miné et élaboré, mais à tra­vers la suc­ces­sion et l’accu­mu­la­tion d’éléments dis­pa­ra­tes, cons­ti­tuant comme par magie une petite somme bri­co­lée et animée : la mémoire d’un siècle au mou­ve­ment inces­sant, la vie, la sen­si­bi­lité et la poésie d’un vacher dif­forme et mali­cieux.

par Christophe Triau, E pur si muove ! - La marion­nette aujourd’hui, Unima maga­zine, n° 6, mars 2008, pp. 10-11.

« Il tourne, il tourne, le manège de Petit Pierre », Le Monde

Il n’en finit plus de tour­ner, le manège de Petit Pierre, depuis la créa­tion de ce spec­ta­cle unique, en février 2007, à Sartrouville (Yvelynes), dans le cadre d’« Odyssée 78 », la bien­nale de théâ­tre pour la jeu­nesse. Après s’être posé dans nombre de villes et de vil­la­ges (quatre cents repré­sen­ta­tions déjà), le voilà aujourd’hui au Théâtre de l’Est pari­sien (TEP), où, à nou­veau, il touche au coeur aussi bien les adul­tes que les enfants, avant de repar­tir une fois encore sur les routes de France.

Unique, Petit Pierre l’est autant par l’his­toire qu’il raconte que par la manière de la raconter. Cette his­toire, c’est celle de Pierre Avezard, né le 30 décem­bre 1909 à Vienne-en-Val (Loiret). A la nais­sance, c’est un bébé qui, comme qui dirait, est tombé dans la caisse à outils : il n’a pas les yeux à la place des yeux, pas d’oreilles, son visage est tout de tra­vers, il n’entend qua­si­ment pas, y voit à peine mieux.

C’est cet homme, pour­tant, qui, des années plus tard, devenu garçon vacher, va cons­truire un joyau d’art brut que l’on peut voir aujourd’hui encore à la Fabuloserie, le musée de Dicy, dans l’Yonne : le manège de Petit Pierre, qui fait tour­ner sur son car­rou­sel enchan­teur des figu­ri­nes décou­pées dans la tôle, d’une poésie inouïe. Des petits hommes péda­lant sur leurs bicy­clet­tes ou condui­sant leurs trac­teurs, des vaches volan­tes, des avions, des trains, des tanks, des télé­phé­ri­ques, une tour Eiffel, des poules, des fleurs, des lapins : tout un monde, celui du XXe siècle, que Pierre Avezard a tra­versé dans sa douce cam­pa­gne de la Loire, avant de s’éteindre pai­si­ble­ment, en 1992.

Cette his­toire d’un homme placé en marge du monde (à l’école, où il n’ira pas long­temps et n’appren­dra ni à lire ni à écrire, ses cama­ra­des l’appel­lent « face de vipère » ; à la ferme, les gars n’ont de cesse de lui jouer les tours les plus pen­da­bles), et qui se le réap­pro­prie, ce monde, en le recons­trui­sant dans la beauté de son mou­ve­ment et de ses cou­leurs, a été racontée à plu­sieurs repri­ses : des films, et des spec­ta­cles qui, déjà, s’appuyaient sur le beau texte écrit par Suzanne Lebeau. Mais ce qui fait tout le prix de ce Petit Pierre-là, c’est la mise en scène ima­gi­née par Maud Hufnagel, une jeune marion­net­tiste sortie de l’école de Charleville-Mézières en 2002, qui confirme la créa­ti­vité foi­son­nante de ce sec­teur depuis quel­ques années.

Une mise en scène en totale adé­qua­tion avec son sujet et qui, à -chaque repré­sen­ta­tion, recrée en direct la démar­che de Pierre quand, au mitan des années 1930, il com­mence à bri­co­ler ses objets naïfs - pour dis­traire ses vaches, au départ ! - avec les bouts de tôle, le fil de fer, les vieux pneus et les pots de pein­ture récu­pé­rés ici ou là.

C’est Maud Hufnagel elle-même (par­fois rem­pla­cée par Sara Louis) qui la raconte, cette vie, sur le petit pla­teau, très proche du public, où tout se joue dans un dis­po­si­tif scé­ni­que extra­or­di­naire, fait de pla­ques d’alu­mi­nium offset. Comme Petit Pierre avec ses bouts de métal, la jeune femme des­sine sur ces pla­ques, les plie, les découpe à vue pour en faire sortir les sil­houet­tes des per­son­na­ges.

D’autres de ces pla­ques sur­gis­sent comme par enchan­te­ment, petits tableaux décou­pés, ou ser­vent de sup­ports à d’autres figu­ri­nes de métal ou de papier, émergeant de mul­ti­ples cachet­tes secrè­tes - et notam­ment tout un trou­peau de vaches irré­sis­ti­bles. Oui, tout un monde, tout le monde est là, d’autant plus que les pla­ques de métal de fond de scène devien­nent sur­face de pro­jec­tion vidéo où s’ins­cri­vent les traces de la « grande » Histoire - rare­ment le XXe siècle, notam­ment la guerre et les camps, a été raconté aux enfants de manière aussi juste, sans esquive ni pathos.

Manipulées, ces pla­ques peu­vent encore faire enten­dre un bruit de ton­nerre évocateur de tra­gé­dies, ou de tem­pê­tes inté­rieu­res. Etonnant spec­ta­cle, déci­dé­ment, où se fon­dent en un seul geste le fond, la forme, le décor, la nar­ra­tion, la phi­lo­so­phie pro­fonde. Si ce Petit Pierre est si émouvant, c’est qu’il recrée sur scène ce mou­ve­ment d’une vie qui, placée sous le sceau de la dif­for­mité et de l’exclu­sion, trouve sa place en ce monde en créant de la beauté à partir de pièces déta­chées et d’objets mis au rebut. Petit Pierre et Maud Hufnagel l’ont bien employée, la caisse à outils. Petit Pierre de Suzanne Lebeau. Mise en scène et adap­ta­tion : Maud Hufnagel et Lucie Nicolas. Avec Maud Hufnagel ou Sara Louis. Théâtre de l’Est pari­sien, 159, avenue Gambetta, Paris 20e. Mo Saint-Fargeau. Tél. : 01-43-64-80-80. Jusqu’au 5 février. A partir de 7 ans. 10 heures, 14 h 30, 15 heures, 16 h 30 ou 19 h 30, selon les jours. De 8 € (moins de 15 ans) à 23 €. Durée : 50 minu­tes.

Puis tour­née jusqu’à fin avril, à La Garde, La Valette, Castellane, Château-Arnoux, etc.

Fabienne Darge Article paru dans l’édition du 29.01.11